La Puissance du Nom : La Prière de Jésus dans la Spirtualité Orthodoxe
Ainsi, la Prière de Jésus contient non seulement un appel au repentir mais une certitude de pardon et de salut. Le coeur de la Prière - le Nom même de Jésus - signifie précisément le salut : " Vous l'appellerez du Nom de Jésus, car il sauvera son peuple du péché. "Si la Prière de Jésus est plus efficace que d'autres invocations, c'est parce qu'elle contient le Nom de Dieu.
La puissance et la gloire de Dieu sont présentes et actives dans son Nom. Le Nom de Dieu est Dieu avec nous, Emmanuel. Invoquer le Nom de Dieu avec attention et délibérément, c'est se mettre en sa présence, s'ouvrir à son énergie, s'offrir comme un instrument et un sacrifice vivant entre ses mains.
Nous sommes appelés à invoquer le Nom avec recueillement et vigilance intérieure, en enfermant la pensée dans les paroles de la Prière, sachant qui est celui à qui nous nous adressons et qui nous répond dans notre coeur.
L'acte de la répétition incessante du Nom a un double effet : il unifie davantage notre prière et en même temps la rend plus intérieure.
I -- PRIÈRE ET SILENCE
II - «SEIGNEUR JÉSUS... »
III - SIMPLICITÉ ET SOUPLESSE
IV - CARACTÈRE COMPLET
V - LA PUISSANCE DU NOM
VI - UNIFICATION
VII - INTÉRIORITÉ
VIII - LES EXERCICES RESPIRATOIRES
IX - LA FIN DU VOYAGE
RÉFÉRENCES
II - «SEIGNEUR JÉSUS... »
III - SIMPLICITÉ ET SOUPLESSE
IV - CARACTÈRE COMPLET
V - LA PUISSANCE DU NOM
VI - UNIFICATION
VII - INTÉRIORITÉ
VIII - LES EXERCICES RESPIRATOIRES
IX - LA FIN DU VOYAGE
RÉFÉRENCES
IV - CARACTÈRE COMPLET
Théologiquement, comme le déclare avec raison le Pèlerin russe, la Prière de Jésus " renferme en elle-même toute la vérité de l'Évangile " ; c'est " un résumé des Evangiles "18. Dans une seule et courte formule, elle incorpore les deux principaux mystères de la foi chrétienne, 1'Incarnation et la Trinité. Elle parle, d'abord, des deux natures du Christ l'homme-Dieu (théanthropos) : de son humanité, car il est invoqué par son nom humain, " Jésus " que sa mère Marie lui a donné après sa naissance à Bethléem ; de son éternelle divinité, car il est aussi appelé " Seigneur " et " Fils de Dieu ". En second lieu, la Prière parle par implication, quoique non explicitement, des trois personnes de la Trinité. Tandis qu'elle s'adresse à la Seconde Personne Jésus, elle le fait aussi au Père, car Jésus est appelé " Fils de Dieu " ; et le Saint-Esprit est également présent dans la Prière, car personne ne peut dire : " Jésus est Seigneur, sinon dans 1'Esprit Saint " (1 Co 12,3). Ainsi, la Prière de Jésus est à la fois christocentrique et trinitaire.
Du point de vue de la dévotion, elle n'en est pas moins complète. Elle embrasse les deux principaux moments de la dévotion chrétienne : le " moment " de l'adoration, du regard vers la gloire de Dieu et la rencontre dans l'amour ; et le " moment " de la pénitence, le sens de l'indignité et du péché. Il y a un mouvement circulaire à l'intérieur de la Prière, une suite de montées et de descentes. Dans la première moitié de la Prière nous " jaillissons " vers Dieu : " Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu... " et dans la seconde moitié nous revenons à nous-mêmes dans la componction : " ...aie pitié de moi, pécheur. " " Ceux qui ont goûté au don de 1'Esprit, est-il établi dans les Homélies de Macaire, sont conscients de deux choses en même temps : d'une part, de joie et de consolation ; d'autre part, de tremblement, de crainte et de tristesse19. " Telle est la dialectique interne de la Prière de Jésus.
Ces deux moments - la vision de la gloire divine et la conscience du péché de l'homme - sont unis et réconciliés dans le troisième moment, quand nous prononçons le mot " pitié ". La " pitié " indique que l'abîme entre la " justice " de Dieu et la création tombée est comblé. Celui qui dit à Dieu : " aie pitié ", se plaint de sa propre impuissance, mais lance en même temps un cri d'espérance. Il ne parle pas seulement de péché mais de son dépassement. Il affirme que Dieu dans sa gloire nous accepte, bien·que nous soyons pécheurs, nous demandant en retour d'accepter le fait que nous sommes acceptés. Ainsi, la Prière de Jésus contient non seulement un appel au repentir mais une certitude de pardon et de salut. Le coeur de la Prière - le Nom même de Jésus - signifie précisément le salut : " Vous l'appellerez du Nom de Jésus, car il sauvera son peuple du péché. " (Mt 1,21). Alors qu'il y a tristesse pour le péché dans la Prière de Jésus, ce n'est pas une tristesse sans espoir mais une tristesse " créateur de joie ", selon l'expression de saint Jean Climaque († c. 649).
Telles sont quelques-unes des richesses, à la fois théologiques et dévotionnelles, présentes dans la Prière de Jésus ; présentes, en outre, non simplement sous une forme abstraite, mais vivifiante et dynamique. La valeur particulière de la Prière de Jésus repose dans le fait qu'elle rend ces vérités vivantes, de telle sorte qu'elles sont saisies non pas seulement extérieurement et théoriquement, mais avec toute la plénitude de notre être. Pour comprendre pourquoi la Prière de Jésus possède une telle efficacité, nous devons nous tourner vers deux aspects plus profonds : la puissance du Nom et la discipline de répétition.
" Le Nom du Fils de Dieu est grand et sans limites et soutient l'univers entier. " Ainsi est-il affirmé dans le Pasteur de Hermas20, et nous n'apprécierons pas le rôle de la Prière de Jésus dans la spiritualité orthodoxe à moins que nous n'ayons quelque intuition de la puissance intrinsèque et de la force du Nom divin. Si la Prière de Jésus est plus efficace que d'autres invocations, c'est parce qu'elle contient le Nom de Dieu.
Dans l'Ancien Testament21, comme dans d'autres cultures anciennes, il y a une identité effective entre l'âme de l'homme et son nom. Toute sa personnalité, avec toutes ses particularités et toute son énergie, est présente dans son nom. Connaître le nom d'une personne c'est avoir une intuition précise de sa nature, et, par là, se faire une relation solide avec elle - avoir même, peut-être, un certain contrôle sur elle. C'est pourquoi le mystérieux messager qui combat avec Jacob au gué de Jacob refuse de révéler son nom (Gn 32,29). La même attitude se reflète dans la réponse de l'ange à Manoah : " Pourquoi me demandes tu mon nom, sachant qu'il est secret ? " (Jg 13,18). Un changement de nom indique un changement décisif dans la vie d'un homme, comme lorsque Abram devient Abraham (Gn 17,5), ou que Jacob devient Israël (Gn 32,28). De la même manière, Saul après sa conversion devient Paul (Ac 13,9) ; et un moine à sa profession reçoit un nom nouveau, habituellement non choisi par lui, pour indiquer le renouveau radical où il est engagé.
Dans la tradition hébraïque, faire quelque chose au nom d’un autre, ou invoquer son nom et s'en recommander, sont des actes d'une puissance et d'un poids extrêmes. Invoquer le nom d'une personne, c'est la rendre effectivement présente. " On rend vivant un nom en le mentionnant. Le nom immédiatement appelle l’âme qu'il désigne ; c'est pourquoi il y a une signification si profonde dans la mention même du nom22. "
Tout ce qui est vrai des noms humains est vrai a un degré incomparablement plus élevé du Nom divin. La puissance et la gloire de Dieu sont présentes et actives dans son Nom. Le Nom de Dieu est numen praesens, Dieu avec nous, Emmanuel. Invoquer le Nom de Dieu avec attention et délibérément, c'est se mettre en sa présence, s'ouvrir à son énergie, s'offrir comme un instrument et un sacrifice vivant entre ses mains. Si ardent était le sens de la majesté du Nom de Dieu dans le judaïsme tardif, que le " tétragrammaton " n'était pas prononcé tout haut au service de la synagogue : le Nom du Très-Haut était considéré comme trop redoutable pour être prononcé23.
Cette compréhension hébraïque du Nom passe de 1'Ancien Testament au Nouveau. Les démons sont chassés et les hommes guéris par le Nom de Jésus, car le Nom est puissance. Une fois que cette puissance du Nom est exactement appréciée, beaucoup de textes familiers acquièrent une plus complète et plus forte signification : telle la demande dans la Prière du Seigneur, " Que ton Nom soit sanctifié " ; la promesse du Christ au dernier repas, " Tout ce que vous demanderez au Père en mon Nom, il vous le donnera " (Jn 16,23) ; son commandement final aux apôtres, " Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au Nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit " (Mt 28,19) ; la proclamation de saint Pierre disant qu'il n'y a de salut que dans " le Nom de Jésus Christ de Nazareth " (Ac 4,10-12) ; les mots de saint Paul : " Au Nom de Jésus que tout genou fléchisse " (Ph 2,10) ; le nom nouveau et secret écrit sur la pierre blanche qui nous est donné pour les temps à venir (Ap 2,17).
C'est cette révérence biblique pour le Nom qui forme la base et le fondement de la Prière de Jésus. Le Nom de Dieu est essentiellement lié à sa personne et ainsi l’invocation du Nom divin possède un authentique caractère sacramentel, servant en tant que signe effectif de sa présence et de son action invisible. Pour le croyant chrétien aujourd'hui, comme aux temps apostoliques, le Nom de Jésus est puissance. Selon les expressions des deux Anciens de Gaza, saint Barsanuphe et saint Jean (VIe siècle), " le souvenir du Nom de Dieu détruit entièrement ce qui est mal24. " " Fustige tes ennemis avec le Nom de Jésus, nous presse saint Jean Climaque, car il n'y a pas d'armes plus puissantes au ciel et sur la terre... Que le souvenir de Jésus soit associé à chaque respiration et ainsi vous saurez la valeur de la tranquillité25. "
Le Nom est puissance, mais une répétition purement mécanique ne sera d'aucun effet par elle-même. La Prière de Jésus n'est pas un talisman magique. Comme dans toutes les opérations sacramentelles, la coopération de l'homme avec Dieu est requise à travers sa foi active et son effort d'ascèse. Nous sommes appelés à invoquer le Nom avec recueillement et vigilance intérieure, en enfermant la pensée dans les paroles de la Prière, sachant qui est celui à qui nous nous adressons et qui nous répond dans notre coeur. Une prière aussi ardue n'est jamais facile au stade initial, et elle est décrite à juste titre par les Pères comme un martyre caché. Saint Grégoire le Sinaïte parle souvent " de la contrainte et du labeur " entrepris par ceux qui suivent la voie du Nom ; " un effort continuel " est requis ; ils seront tentés de renoncer " à cause de la souffrance persistante qui vient de l’invocation intérieure de l'esprit ". " Vos épaules vous feront mal, et vous aurez souvent la tête douloureuse, avertit-il, mais persévérez avec constance et avec un ardent désir, cherchant le Seigneur dans votre coeur26. " C'est seulement à travers cette patiente fidélité que nous découvrirons la vraie puissance du Nom.
Cette persévérante fidélité prend la forme, avant tout, d'une attentive et fréquente répétition. Christ dit a ses disciples de ne pas utiliser les " vaines répétitions " (Mt 6,7), mais la répétition de la Prière de Jésus, quand elle est faite avec sincérité et concentration intérieures, n'est absolument pas " vaine ". L'acte de la répétition incessante du Nom a un double effet : il unifie davantage notre prière et en même temps la rend plus intérieure.