|  Le Christ bénissant (Icône du Sinaï, VIe siècle) |  par le Père Lev Gillet (Un moine de l'Église d'Orient) | 
APPENDICE I : MÉTHODE PSCHO-PHYSIOLOGIQUE DE LA PRIÈRE
1. FORME DE LA PRIÈRE
2. ÉPISODE OU MÉTHODE
3. LES PREMIERS PAS : ADORATION ET SALUT
4. INCARNATION
5. TRANSFIGURATION
6. LE CORPS DU CHRIST
7. LA CÈNE DU SEIGNEUR
8. LE NOM ET L’ESPRIT
9. VERS LE PÈRE
10. JÉSUS TOUT ENTIER
APPENDICE II : L’INVOCATION DU NOM DE JÉSUS EN OCCIDENT
7. LA CÈNE DU SEIGNEUR
Le nom de Jésus peut devenir pour nous une sorte d’Eucharistie. De même que   le mystère de la chambre haute résumait la vie et la mission du Seigneur, ainsi un   certain usage "eucharistique" du nom de Jésus rassemble et unifie les aspects   de ce nom jusqu’ici considérés. L’Eucharistie sacramentelle ne rentre pas dans   les limites de notre thème. Mais notre âme est aussi une chambre haute où Jésus   désire manger la pâque avec ses disciples et où la Cène du Seigneur peut être   célébrée à n’importe quel moment d’une manière invisible. Dans cette Cène   purement spirituelle, le nom du Sauveur peut prendre la place du pain et du vin du   sacrement. Nous pouvons faire du nom de Jésus une offrande d’action de grâces (et   c’est là le sens originel du mot " eucharistie "), le support et   la substance d’un sacrifice de louange rendu au Père. Dans cette offrande   intérieure et invisible, nous présentons au Père, en prononçant le nom de Jésus, un   Agneau immolé, une vie donnée, un corps brisé, un sang répandu. Le nom sacré, dans   cet usage sacrificiel qui en est fait, devient un moyen d’appliquer les fruits de   l’oblation unique et parfaite du Golgotha.
Il n’y a pas de Souper du Seigneur sans communion. Notre Eucharistie   invisible implique ce que la tradition a appelé " communion   spirituelle ", c’est-à-dire l’acte de foi et de désir par lequel   l’âme se nourrit du corps et du sang du Christ sans user des éléments visibles du   pain et du vin. Loin de nous toute pensée de diminuer, de sous-estimer le sacrement de   l’Eucharistie tel que l’Église le pratique et que nous ne saurions simplement   identifier à la communion spirituelle. Mais nous croyons être dans la tradition   authentique de l’Église en proclamant la réalité d’un accès constant,   invisible, purement spirituel, au corps et au sang du Christ, accès distinct d’une   approche générale de sa personne, car il implique une relation spéciale entre   nous-mêmes et le Sauveur considéré comme nourricier et nourriture des âmes. Or le nom   de Jésus peut servir de forme, de support, d’expression à cet accès. Il peut nous   être une nourriture spirituelle, une participation au Pain de Vie. Seigneur,   donne-nous toujours de ce pain (Jn 6,34). Dans ce nom, dans ce pain, nous nous   unissons à tous les membres du Corps mystique du Christ, à tous ceux qui s’asseyent   au banquet du Messie, nous qui étant nombreux formons un seul pain et un seul corps   (1 Co 10,17). Et, puisque l’Eucharistie annonce la mort du Seigneur jusqu’à   ce qu’il vienne (1 Co 2, 26), puisqu’elle est une anticipation du royaume   éternel, l’usage" eucharistique du nom de Jésus possède aussi une   signification " eschatologique " : il annonce la   " fin " et le Second Avènement, il est une aspiration ardente, non   seulement aux irruptions occasionnelles du Christ dans notre existence terrestre, mais à   cette venue définitive du Christ jusqu’à nous que sera le moment de notre mort. Il   y a une certaine manière de prononcer le nom de Jésus qui constitue une préparation à   la mort, un bond de notre coeur au-delà de la barrière, un appel suprême au Fiancé que,   sans l’avoir vu, nous aimons (1 P 1,8). Dire " Jésus ",   c’est alors répéter le cri de l’Apocalypse : Viens, Seigneur   Jésus ! (Ap 22,20).

Quand nous lisons le livre des Actes, nous voyons quelle place centrale le nom de   Jésus occupait dans le message et l’action des Apôtres. Par ceux-ci le nom du   Seigneur Jésus était glorifié (Ac 19,17) ; c’est en ce nom que les signes   miraculeux étaient accomplis et que les vies étaient changées. Après la Pentecôte,   les Apôtres devinrent capables d’annoncer le Nom avec puissance. Il y a là   un usage " pentécostal " du nom de Jésus, usage qui n’est pas   le monopole des Apôtres, mais qui demeure ouvert à tous les croyants. Seule la faiblesse   de notre foi et de notre charité nous empêche de renouveler au nom de Jésus les fruits   de la Pentecôte, de chasser les démons, d’imposer les mains aux malades et de les   guérir. Ainsi continuent de faire les saints. L’Esprit écrit le nom de Jésus en   lettres de feu dans le coeur de ses élus. Ce nom y est une flamme ardente.
Mais il existe, entre le Saint-Esprit et l’invocation du nom de Jésus, un   lien autre et plus intérieur que le ministère " pentécostal " du   chrétien. En prononçant le nom du Sauveur, nous pouvons obtenir une certaine   " expérience " (ce mot étant employé avec toutes les réserves qui   s’imposent) de la relation entre le Fils et l’Esprit. Nous pouvons nous efforcer   de coïncider avec la descente de la colombe sur Notre Seigneur, unir notre coeur (pour   autant qu’une créature se puisse unir à une activité divine) à l’éternel   mouvement de l’Esprit vers Jésus. Oh, si j’avais les ailes de la   colombe ! (Ps 54,7) non seulement pour prendre l’envol loin des tristesses   terrestres mais pour me poser sur celui qui est tout mon bien ! Oh si je savais   entendre la voix de la tourterelle (Ct 2, 12), prononcer avec des gémissements   ineffables (Ro 8,26) le nom du Bien-Aimé ! Alors l’invocation du nom de   Jésus serait une initiation au mystère du rapport d’amour entre le Christ et   l’Esprit.
Et, d’autre part, nous pourrions nous efforcer de coïncider (toujours toutes   proportions gardées) avec l’attitude de Jésus envers l’Esprit-Saint. Conçu de   l’Esprit, poussé par l’Esprit, Jésus a montré la plus humble docilité envers   le souffle du Père. Prononçant le nom de Jésus, unissons-nous (autant qu’il peut   être donné à un homme) à l’entière remise que Jésus a faite de sa vie à ce   souffle divin. Voyons aussi dans le nom de Jésus un foyer d’où l’Esprit   rayonne, voyons en Jésus le point de départ d’où l’Esprit est envoyé aux   hommes, la bouche d’où l’Esprit est insufflé sur nous. L’invocation du   nom de Jésus, nous associant à ces divers moments - l’emplissement de Jésus par   l’Esprit, l’envoi de l’Esprit aux hommes par Jésus, et aussi   l’aspiration de Jésus vers le Père - nous fera croître dans la connaissance et   l’intimité de celui que Paul appelle l’Esprit du Fils (Ga 4,6).

Il y a le Fils. Et il y a le Père. Notre lecture de l’Évangile demeurera   superficielle tant que nous y verrons seulement une vie et un message tournés vers les   hommes. Le coeur de l’Évangile, le mystère de Jésus est le rapport entre le Père   et le Fils unique. Prononcer le nom de Jésus, c’est prononcer la Parole qui était   au commencement (Jn 1,1), la Parole que le Père prononce de toute éternité. Le nom   de Jésus, pourrions-nous dire (avec quelque anthropomorphisme aisément rectifiable), est   la seule parole humaine que le Père prononce, tandis qu’il engendre le Fils et se   donne à lui.
Prononcer le nom de Jésus, c’est nous approcher du Père, c’est   contempler l’amour et le don du Père se concentrant sur Jésus, c’est sentir   (dans notre pauvre mesure) quelque chose de cet amour et nous y associer de loin,   c’est entendre la voix du Père déclarant : Tu es mon Fils bien-aimé   (Lc 3,22) et dire humblement " Oui " à cette déclaration. Prononcer   le nom de Jésus, c’est, d’autre part, autant te le peut une créature, entrer   dans la conscience filiale du Christ. C’est, après avoir trouve dans le mot   " Jésus " le tendre appel du Père : " Mon   Fils ! ", y trouver aussi la tendre réponse du Fils : "Mon   Père ! " C’est reconnaître en Jésus l’expression parfaite du   Père, nous unir à l’éternelle orientation du Fils vers le Père, à   l’offrande totale du Fils à son Père. Prononcer le nom de Jésus, c’est   (s’il est permis de parler ainsi) joindre de quelque manière le Fils au Père et   entrevoir quelque reflet du mystère de leur unité. C’est trouver le meilleur accès   au coeur du Père.

Nous avons considéré divers aspects de l’invocation du nom de Jésus. Nous   les avons disposés selon une sorte d’échelle ascendante, peut-être   pédagogiquement utile, mais artificielle, car, en fait, des degrés se mêlent et Dieu ne   donne pas l’Esprit avec mesure (Jn 3,34). À tel ou tel stage de la pratique de   l’invocation du nom de Jésus, il peut être bon, nécessaire même, de se concentrer   sur un aspect particulier du nom divin.
Mais un moment vient où une telle particularisation devient pesante, difficile,   parfois même impossible. La considération et l’invocation du nom de Jésus   deviennent alors globales. Toutes les implications du nom nous deviennent simultanément,   quoique confusément, présentes. Nous disons " Jésus ", et nous nous   reposons dans une plénitude, une totalité qu’il ne nous est plus possible de   disjoindre. Le nom de Jésus devient alors porteur du Christ total. Il nous introduit dans   la Présence totale. En celle-ci se trouvent données toutes les réalités vers   lesquelles le Nom nous a été un moyen d’approche : le salut et le pardon,   l’Incarnation et la Transfiguration, l’Église et l’Eucharistie,   l’Esprit et le Père. Toutes choses nous apparaissent alors comme réunies en   Christ (Ép 1,10). La Présence totale est tout. Sans elle le Nom n’est rien. Qui   a atteint la Présence n’a plus besoin du Nom. Le Nom n’est que le support de la   Présence, et, au terme de la toute, nous devons devenir libres du Nom lui-même, libres   de tout, sauf de Jésus, du contact vivant et indicible avec sa Personne. Le rayon de   lumière rassemble les couleurs diverses que le prisme disperse. Ainsi le " Nom   total ", signe et portent de la Présence totale ; agit comme une lentille   qui reçoit et concentre la blanche lumière de Jésus. Cette lentille - le Nom de Celui   qui est la lumière du monde - nous aide à allumer le feu dont il a été dit : Je   suis venu mettre le feu sur la terre (Lc 12,49). Si nous nous attachons au nom de   Jésus, nous recevrons la bénédiction spéciale que l’Écriture promet : Sois-moi   miséricordieux, comme tu es accoutumé de l’être à ceux qui aiment ton nom (Ps   118,132). Et puisse le Seigneur, veuille le Seigneur dire de nous ce qu’il disait de   Saul : Il m’est un vase choisi pour porter mon nom (Ac 9,15).

Nous n’avons pas à la défendre, mais nous voudrions, dans une certaine   mesure, l’expliquer. Le ralentissement ou la rétention de la respiration est un   moyen bien connu de se mettre dans un état de calme. Un homme d’une spiritualité   aussi intérieure et profonde que Vladimir Soloviev recommandait ce procédé. Saint   Ignace, dans ses Exercices, conseille de prier comme en mesure   " d’une respiration à l’autre ". Chaque mouvement   respiratoire peut exhaler une prière. De plus, les hésychastes ont attaché une grande   importance à maintenir " l’esprit dans les limites du   corps " ; il s’agit d’empêcher l’esprit de se disperser   dans les choses, ce qui arrive par l’exercice des fonctions visuelles, tactiles,   locomotrices, etc. Si l’on retient sa respiration, si en même temps on reste   immobile, les yeux fermés ou baissés, et si cette attitude corporelle s’accompagne   d’un effort psychologique pour " ramener l’esprit dans le   corps " et ne pas dépasser les limites du corps, cette opération,   presque impossible à décrire, produit une impression de gêne (qui peut devenir   douloureuse), mais aussi de coïncidence aiguë entre l’esprit et le corps et de   concentration intense.
Quant à l’" omphaloscopie " ou fixation du regard sur le   nombril, ni le nom ni la chose ne correspondent à ce que recommande l’hésychasme.   Il n’a jamais été question d’une contemplation du nombril, ce qui serait du   pur yoghisme. Il s’agit, dans une posture assise, de fixer le regard sur le milieu du   corps. Le nombril exprime, assez naïvement, un point de fixation, un axe de   direction ; mais on peut dire avec autant de justesse qu’il faut diriger le   regard sur la poitrine. " Pratique bizarre, presque scandaleuse ",   écrit le P. Jugie, dans son article sur Grégoire Palamas. Encore faut-il essayer de la   comprendre. Il s’agit de " trouver le lieu du coeur ", de faire   descendre l’esprit dans le coeur. Faisant abstraction d’une physiologie   périmée, cela signifie qu’il faut, en concentrant les regards dans la direction du   coeur, s’imaginer vivement son propre coeur comme le lieu symbolique de la vie   affective et volitive, de l’amour, puis jeter dans ce brasier nos pensées   " intellectuelles " et les laisser s’échauffer, s’éclairer   et prendre feu au contact de cette flamme, jusqu’à ce qu’un cri brûlant vers   Jésus jaillisse et s’élève.
D’autre part, cette attitude physique, tête inclinée vers le coeur, est en   rapport avec le " mouvement circulaire ". Le Pseudo-Denys avait   écrit : " Le mouvement de l’âme est circulaire :   l’enroulement de ses puissances intellectuelles sous forme d’unité lui donne la   même continuité qu’à une roue " (Des noms divins, ch. 4). Ce   mouvement cyclique de l’oraison exprime l’effluence de l’esprit dans le   coeur, la circumincession de l’intellect et de l’amour. Il préfigure aussi, si   grossièrement que ce soit, la circumincession de la Trinité, la communication   d’amour des Trois Personnes. La célèbre icône de la Trinité d’André   Roublev, qui est peut-être la plus haute expression artistique de l’Orthodoxie,   suggère nettement, en ses moindres détails, un mouvement circulaire (dans le sens   contraire à celui des aiguilles d’une montre). Bref, il s’agit, par des   attitudes corporelles, de créer de puissantes représentations mentales qui, à leur   tour, déclenchent certains dynamismes psychiques.
L’étroit rapport des représentations mentales avec les arrangements   spatiaux a été souligné par la moderne Gestalt-psychologie. En ce qui concerne   la vision lumineuse à laquelle aboutirait la prière de Jésus, distinguons quatre cas.   D’abord le cas de la perception, par les organes naturels, d’une lumière   surnaturellement produite ; cela est arrivé à des saints et à des pécheurs. Puis,   très au-dessus, comme un cas limite, la perception surnaturelle, mais non sensible ou   physique, et par suite transcendant la psychologie normale, d’une lumière   surnaturelle ; c’est la lumière de la Transfiguration vue, non par les organes   normaux, mais par des yeux déjà transfigurés. Au plus bas de l’échelle, il y   aurait un emploi purement symbolique du mot " lumière ", le nom de   Jésus devenant, dans un sens figuré, le soleil de l’âme. Entre ce cas et le   premier envisagé, il y aurait place pour un cas intermédiaire : la pratique   constante ou fréquente de la prière de Jésus peut mettre l’orant dans un état   intérieur habituel de " luminosité ". Même s’il ferme les   yeux, il a l’impression d’être pénétré par une clarté et de se mouvoir dans   la lumière. C’est plus qu’un symbole ; c’est moins qu’une   perception sensible et ce n’est assurément pas une extase ; mais c’est   quelque chose de réel, quoique indescriptible. Nous n’entrons pas ici dans la   question " palamite " des rapports entre l’essence de Dieu et la   lumière divine. Rappelons seulement que la mystique orientale a toujours été une   mystique de la lumière (déjà les Hébreux avec la Schékinah et la   " gloire ". Dieu est lumière.

L’Église romaine a une fête du Saint Nom de Jésus (ce que n’a pas   l’Église orthodoxe) ; depuis Pie X, cette fête est célébrée le dimanche   situé entre le 1er janvier et l’Épiphanie ou, à son défaut, le 2 janvier. La   messe et l’office de la fête ont été composés par Bernardin de Busti (+ 1500) et   approuvés par le pape Sixte IV. Originellement confinée aux couvents franciscains, la   fête fut plus tard étendue à toute l’Église. Le style des collectes se ressent de   l’époque où elles furent composées et diffère beaucoup de l’ancien style   romain. On ne peut qu’admirer la beauté des leçons de l’Écriture et des   homélies de saint Bernard choisies pour matines. Les hymnes Jesu dulcis memoria, Jesu   rex admirabilis, faussement attribuées à saint Bernard, sont empruntées à un jubilus   écrit par un inconnu du XIIe siècle. Les litanies du Saint Nom de Jésus,   approuvées par Sixte V, sont d’origine douteuse ; peut-être furent-elles   composées, vers le début du XVe siècle, par saint Bernardin de Sienne et saint Jean de   Capistran. Ces litanies, comme le montrent les invocations : " Jésus,   splendeur du Père... Jésus, soleil de justice... Jésus, doux et humble de coeur...   Jésus, amateur de chasteté... etc. " sont consacrées aux attributs plutôt   qu’au nom même de Jésus ; on pourrait, jusqu’à un certain point, les   comparer à 1’acathiste du " très doux Jésus " dans   l’Église byzantine.
On sait de quelle dévotion fût entouré le monogramme IHS ; celui-ci ne   signifie, pas, comme on le dit souvent : Jesus Hominum Salvator, mais   représente simplement une abréviation du nom de Jésus. Les Jésuites, surmontant la H   d’une croix, ont fait de ce monogramme l’emblème de la Compagnie. En 1564 le   pape Pie IV approuvait une Confraternité des Très Saints Noms de Dieu et de Jésus qui,   devenue plus tard Société du Saint Nom de Jésus, existe encore. Cette fondation était   une conséquence du concile de Lyon de 1274, qui prescrivit une dévotion spéciale envers   le nom de Jésus.
L’Angleterre du XVe siècle usait d’un Jesus Psalter composé par   Richard Whytford ; ce psautier de Jésus comprend une série de pétitions dont   chacune débute par la triple mention du Nom sacré ; il est encore en usage et nous   en avons sous les yeux un exemplaire tout récent.
Le grand propagateur de la dévotion au nom de Jésus pendant le bas moyen âge   fut saint Bernardin de Sienne (1380-1444) ; il recommandait de porter des tablettes   sur lesquelles était inscrit le signe IHS et, en substituant ces tablettes aux symboles   guelfes et gibelins dont les murs étaient couverts, il croyait sceller la pacification   des coeurs (P. Thureau-Dangin, Saint Bernardin de Sienne, Paris, 1896).   Cette propagande lui valut d’être attaqué par l’Augustin André Biglia, dans   un long mémoire et deux livres, de ton modéré (Le Mémoire d’André Biglia et   la prédication de saint Bernardin de Sienne, texte avec introduction et notes du   Père B. de Gaiffier dans les Analecta Bollandiana, t. 53, 1935, pp. 307-365), et   dans un mémoire plus violent de l’Augustin André de Cascia au pape Martin V où on   lit : " Ce culte détruit la foi en la sainte Trinité, il rabaisse la   dignité de l’humanité du Christ ; il annule le culte de la croix. "   Martin V et Eugène IV donnèrent néanmoins raison à Bernardin. Mais l’humaniste   Poggio dénonçait ce qu’il appelait illa jesuitas et   " l’impudence de ces hommes qui, attachés au seul nom de Jésus, fomentent   une hérésie nouvelle ".
Saint Jean de Capistran, disciple de Bernardin, était aussi un propagateur   fervent de la dévotion au nom de Jésus. Les deux saints appartenaient à la famille   religieuse de saint François d’Assise. On sait que François lui-même   s’attendrissait au nom de Jésus. Le culte du Saint Nom devint une tradition   franciscaine ; et il est bien significatif qu’une version Italienne des Fioretti,   exécutée à Trevi en 1458 par un Frère mineur de la réforme de saint Bernardin,   contienne un chapitre additionnel sur les témoignages du culte rendu par saint François   au nom de Jésus (E. Landry, Contribution à l’étude critique des Fioretti de   saint François d’Assise, dans les Annales de la faculté des Lettres de   Bordeaux et des Universités du Midi, IVe série, t. I, 1901, pp. 138-145).
Mais c’est en définitive Bernard de Clairvaux, au XIIe siècle, que le nom   de Jésus a le plus inspiré. Qu’on lise surtout son sermon XV sur le Cantique des   cantiques (PL, t. 183, 483-487). Commentant l’assimilation du nom de Jésus à une   huile répandue faite par le Cantique, il développe l’idée que le Nom sacre, ainsi   que l’huile, éclaire, nourri, oint. " N’est-ce pas dans la lumière   de ce nom que Dieu nous a appelés à son admirable lumière ? " (On se   rappellera les hésychastes.) " Le nom de Jésus est non seulement une lumière,   mais il est une nourriture. " Ce nom castas fovet affectiones, et voici   une splendide clarté lancée sur les rapports de la prière de Jésus avec l’amitié   humaine ou l’amour conjugal. 
Et enfin : " Si tu écris, je ne goûte pas tes écrits, à moins   que je n’y lise le nom de Jésus. Si tu discutes ou confères, je ne goûte pas ta   parole, à moins que le nom de Jésus n’y résonne. Jésus est un miel dans la   bouche, une mélodie à l’oreille, une jubilation dans le coeur... Mais [le Nom] est   aussi un remède. Quelqu’un de nous est-il triste ? Que Jésus vienne dans son   coeur et que, de là, il jaillisse sur sa bouche... Quelqu’un tombe-t-il dans des   crimes ?... S’il invoque le nom même de la vie, ne respirera-t-il pas aussitôt   l’air de la vie ? " Ces passages contiennent la plus profonde   théologie du Nom sacré.
Extrait du livre par "Un moine de l’Église d’Orient",
La prière de Jésus, Chevetogne/Seuil (Livre de vie), 1963.
Reproduit avec l'autorisation du Monastère de Chevetogne.

 

