L’invocation de Jésus
« Comment sortir de ce dilemme, bien paulinien ? Il n'y a que l'invocation incessante de Jésus, la prière adressée à notre Sauveur, le cri du cœur dans notre détresse, et c'est Lui qui vient à notre aide et combat alors pour nous. Le même Hésychius de Jérusalem continue dans le passage déjà cité : Mais si tu invoques le nom de Jésus, ils (les adversaires spirituels, les démons) ne pourront un seul instant te résister ni entreprendre contre toi quoi que ce soit. — Il est impossible, continue-t-il[13], que le cœur soit purifié des pensées pernicieuses sans l'invocation du nom de Jésus. — Quand Jésus est invoqué, écrit Philothée du Sinaï (commencement du IXe siècle)[14], Il consume sans peine tout ce qui est entaché de péché. Car dans aucun autre n'est le salut pour nous, hormis Jésus-Christ. C'est Lui-même du reste qui l'a dit : Sans Moi, vous ne pouvez rien faire (Jean 15,5). Et cette solution est certes bien paulinienne, bien néotestamentaire, bien christocentrique. Nous sommes faibles, mais en Lui nous devenons forts (cf. II Cor. 12,9-10). La solution du dilemme est dans la prière incessante, dans l'invocation inlassable de Jésus. Nous sommes appelés à être actifs, mais nous ne le sommes que par sa force. Car c'est Lui qui vient combattre pour nous et appuyer nos efforts. Donc, grâce et activité s'allient intimement, indissolublement dans cette vie qui vient de Jésus-Christ. Il y a les dons de l'Esprit, la grâce de la persévérance dans le combat, la virilité de l'âme, l'héroïsme spirituel, le processus de la sanctification, de l'ascension qui commence dès à présent et auquel nous sommes appelés dès à présent. Mais tout cela, ce sont des dons, des prêts qui viennent de Lui et qu'Il peut retirer à chaque moment. Rien n'est à nous. De là l'humilité sur les hauteurs de la sainteté. »[15]
La vie spirituelle, tout ce qui est dit dans les chapitres précédents, est indissociable de la prière.
« Tout ce combat, toute cette activité est prière, toute cette vie est prière, toute la force provient de la prière, ou plutôt de Celui qu'on appelle à l'aide et qui vient nous délivrer de nos ennemis et combattre pour nous. En d'autres mots, toute cette activité si virile, si intense et si courageuse qu'elle soit, découle de la grâce, est nourrie de la grâce, est nulle et impuissante sans la grâce. Et dans l'austérité du combat et de la crucifixion, il y a la présence de Celui qui vient à notre aide : du Seigneur Jésus, Fils de Dieu. L'austérité de la Croix est en même temps la sérénité de la Croix et la joie qui découle de la Croix. »[21]
Très éclairants à ce sujet sont les extraits ci-après de lettres du starets Théophane le Reclus (1815-1894), par ailleurs évêque et traducteur de la Philocalie en russe, qui sont citées et commentées par N. Arséniev[22].
« La croissance dans la vie spirituelle s'identifie à la croissance dans la prière ; elle doit illuminer la vie tout entière, celle de tous les jours, avec ses peines et ses soucis ; elle doit sanctifier tous les détails de la vie intérieure et extérieure, tous nos rapports avec notre prochain. »[23]
Il s’agit ici principalement de la prière de Jésus, la prière du cœur, fondée sur l’invocation incessante du nom de Jésus (cf. § 2.3) : Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur ! Cette prière, gardée comme la pierre précieuse de l’Orthodoxie, est enseignée et pratiquée avant tout dans les monastères. Pour les fidèles qui vivent dans le monde, dans les paroisses, la prière peut prendre bien d’autres formes. Une grande place revient notamment à l’utilisation de livres de prières, pour les prières du matin et du soir, les prières avant la communion… L’important est de se tenir à une règle de prière, en accord avec son confesseur. Mais l’enseignement des grands startsi reste toujours valable en ce qui concerne l’attitude intérieure, qui est fondamentalement la même pour tous. La Philocalie rend compte de cet enseignement, ou plutôt de cette expérience qui parcourt les siècles. Déjà saint Paul avait prêché la crucifixion du vieil homme et l'union avec le Christ (cf. Rom. 6,5-11), le Christ qui est l'unique centre.
« Il n'y a qu'une chose qui soit nécessaire : s'unir dans le cœur au Seigneur et ne pas s'en éloigner ni en pensées ni en sentiments. Imitez le saint prophète qui a dit : Je mets le Seigneur constamment sous mes yeux ; puisqu’Il est à ma droite, je ne chancellerai pas (Ps. 15,8). Songez que vous êtes sous l'œil du Seigneur qui est au-dessus de votre cœur et y voit tout. Alors va naître en vous une intense crainte de Dieu, vous vous habituerez à vous examiner intérieurement, à éloigner de vous toute mauvaise pensée, tout mauvais sentiment et à cultiver en vous la sobriété de l'esprit. Si Dieu vous accorde que cette vie devant sa Face vous devienne habituelle, alors vous n'aurez plus besoin d'être conseillé : Lui seul vous guidera en tout. »[24]
« La prière est la respiration de la vie spirituelle… Priez sans cesse (I Thess. 5,17, cf. aussi Luc 18,1) : le Seigneur est proche et son secours est proche à tout instant… Le plus important de tout, c'est de marcher devant Dieu ou sous le regard de Dieu, avec le sentiment que Dieu a les yeux sur vous, qu'Il pénètre votre âme, votre cœur, et que là Il voit tout... Ce sentiment est le levier le plus fort pour promouvoir la vie intérieure. »[25]http://www.orthodoxeametz.fr/Quelques%20elements%20de%20spiritualite%20orthodoxe.htm#2.3.%20L%E2%80%99invocation%20de%20J%C3%A9sus