par Élisabeth Behr-Sigel
1. L'OEUVRE SPIRITUELLE
2. L'INVOCATION DU NOM
3. LA PRIÈRE ACTIVE
4. .LA PRIÈRE SPIRITUELLE
5. UNE PRIÈRE POUR NOTRE TEMPS
RÉFÉRENCES
2. L'INVOCATION DU NOM
3. LA PRIÈRE ACTIVE
4. .LA PRIÈRE SPIRITUELLE
5. UNE PRIÈRE POUR NOTRE TEMPS
RÉFÉRENCES
2. L'INVOCATION DU NOM
Nous avons déjà brièvement défini la "prière spirituelle" comme une invocation du Nom de Jésus Christ accomplie par l'intelligence (ou l'esprit) dan le coeur. Il convient maintenant de préciser le sens de cette définition.
Elle affirme tout d'abord que le contenu objectif essentiel de l'oraison est le Nom de Jésus Christ. Le starets Païsi, au chapitre V de son opuscule (8), la décrit comme le fait de "porter constamment dans le coeur le très-doux Jésus et d'être enflammé par le rappel incessant de son Nom bien-aimé d'un ineffable amour pour lui" (9). Il est frappant que cette définition établit un lien étroit entre le "Nom" et la "Personne" de Jésus Christ. Invoquer le Nom, c'est déjà le porter en soi. La puissance du Nom est celle du Christ lui-même. Le feu de sa grâce, se révélant dans le Nom du Seigneur, enflamme le coeur d'un amour ineffable et divin. Toute interprétation "psychologique" et "nominaliste'' serait ici erronée. La Prière de Jésus n'est pas un exercice en vue de créer par une répétition mécanique une sorte de monoidéisme psychologique. Il s'agit non pas de remonter un mécanisme psychique, mais de libérer une spontanéité spirituelle, ce "cri du coeur" que fait jaillir, comme une source d'eau vive, la présence du Seigneur, communiquée par la prononciation du Nom divin. Le Nom du Christ est donc ici certainement autre chose qu'un simple signe. II est un symbole si par ce terme on désigne ce qui est l'instrument d'une communion réelle avec l'objet signifié. Il révèle le Verbe divin et le représente, c'est-à-dire le rend présent d'une manière comparable à celle dont l'icône, dans l'Église orthodoxe, représente et actualise pour le croyant la puissance du Christ et de ses saints.
Ceci explique que pour les zélateurs de la "prière de Jésus", la prononciation de celle-ci soit d'une part un "moyen", d'autre part la "fin" même de la vie spirituelle. Elle est un moyen parce que "les paroles sont un secours pour l'esprit faible qui n'aime pas à se fixer en un lieu et sur un seul objet". Le grand mal dont souffre l'humanité déchue est le désordre intérieur, la dispersion des pensées et des sentiments, qui rendent l'homme incapable de fixer son esprit sur Dieu. La prière et, plus que toute autre la Prière de Jésus tend à recréer l'unité spirituelle, et cela non seulement parce qu'elle "résume en quelques paroles très simples l'essence de la foi chrétienne", mais parce que le Nom du Christ communique à l'homme la force de la grâce divine, par la quelle il devient capable de chasser les puissances démoniaques dont la présence engendre le désordre et le mensonge. Appelant à son secours le Seigneur Jésus dans la lutte contre l'ennemi et contre les passions, l'orant est témoin de leur défaite au Nom terrible du Christ et reconnaît la puissance de Dieu et de son secours (10).
Mais si dans la lutte contre les forces du Mal dont l'oeuvre est la désintégration spirituelle de l'homme, la Prière de Jésus est un moyen, un instrument, elle trouve aussi en elle-même sa propre fin. La réalité transcendante de Dieu se révélant et se communiquant dans le Nom de Jésus Christ, le but est de s'absorber dans la prononciation de celui-ci, de laisser le Nom, c'est-à-dire la Personne de Jésus, s’emparer de l'être tout entier et principalement du coeur, jusqu'à ce que son battement même devienne prière, glorification du Nom du Seigneur. Tant que la prière est mécanique et cérébrale, la fin n'est pas atteinte. Il faut que l'esprit se plonge en quelque sorte dans la prière, qu'elle prenne entièrement possession de lui afin que le rayonnement du Nom divin pénètre jusque dans les tréfonds de l'être et les éclaire. Tel est le sens des paroles mystérieuses des starets exhortant leurs disciples "à descendre du cerveau dans le coeur" (11). Il n'est pas question ici d'un effort purement intellectuel d'assimilation du sens des paroles de la prière, s'accompagnant d'une certaine chaleur émotive. Le Nom de Jésus Christ contenu dans la prière "apporte" en réalité avec lui la présence de Dieu. S'ouvrir à cette "présence réelle" afin qu'elle pénètre les profondeurs les plus intimes de son esprit et les illumine, c'est en quoi consiste l'effort de l'orant.
Du point de vue subjectif, c'est-à-dire du point de vue de l'ascension de l'homme, les starets ont l'habitude de distinguer deux degrés dans "l'oeuvre spirituelle". (Sans doute en existe-t-il en réalité un nombre infini, mais cette première distinction est essentielle). Ainsi, au témoignage des "Anciens", y aurait-il pour ceux qui s'adonnent à "l'oeuvre spirituelle" une première période où prédomine le sentiment de l'effort personnel et douloureux : c'est la "prière active" ou "laborieuse". La seconde période est celle de la prière "spirituelle" ou "charismatique", appelée aussi "spontanée" (12) ou "contemplative".