La Bible dans la prière orthodoxe
Père André Jacquemot
Texte légérement augmenté d’une communication à la journée de rencontre organisée par la Commission œcuménique de Moselle, le 29 mai 2010 à Peltre, sur le thème : « La Bible nous parle-t-elle encore ? »
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Plan
La prière de Jésus est très pratiquée dans le monde orthodoxe. Elle consiste à invoquer le nom de Jésus de manière répétée en une courte formule (d’où le nom de prière monologique : une seule parole). La formule habituelle est : « Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi pécheur ». L’avantage est qu’on peut la dire à tout moment, que l’on soit occupé ou non.
Le principe de l’invocation continuelle est biblique : « Priez sans cesse » (1 Thess. 5, 17). « Je répandrai mon esprit sur toute chair ; vos fils et vos filles prophétiseront… Alors quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. » (Joël 2, 28-32, cité par Pierre dans son discours de la Pentecôte en Actes 2, 17-21 ; et par Paul en Rom. 10, 13).
Et de fait, l’invocation du Nom du Seigneur traverse toute la Bible , dès les premiers hommes :
« Seth (fils d’Adam) eut aussi un fils, et il l'appela du nom d'Enosch. C'est alors que l'on commença à invoquer le nom du Seigneur. » (Gen. 4, 26)
« Et David fit monter l'arche de Dieu, devant laquelle est invoqué le nom du Seigneur des armées qui réside entre les chérubins au-dessus de l'arche. » (2 Sam. 6, 2)
« Et vous direz en ce jour-là : Louez le Seigneur, invoquez son nom, publiez ses œuvres parmi les peuples, rappelez la grandeur de son nom ! » (Is. 12, 4)
« Et j'ai invoqué le Nom du Seigneur : Seigneur, délivre mon âme ! » (Ps. 114, 4)
« Que rendrai-je au Seigneur pour tout ce qu'il m'a rendu ? Je prendrai la coupe du salut, et j'invoquerai le nom du Seigneur. » (Ps. 115, 3-4)
L’un des noms préférés de Dieu est « Seigneur » : « Qu’ils sachent que ton Nom est Seigneur, Toi le seul Très-Haut sur toute la terre » (Ps. 82, 19). C’est l’équivalent ici du Tétragramme hébraïque YHWH (Yodh, Heh, Wav, Heh), que certaines Bibles modernes transcrivent sous la forme « Yaveh », mais que les juifs s’interdisent de prononcer et remplacent par « Adonaï ». Les Bibles protestantes traduisent par « l’Eternel ». Mais la Septante a traduit par « Kyrios », qui est l’équivalent de « Adonaï », c’est-à-dire « le Seigneur ».
A partir du Nouveau Testament, le Nom de Dieu est aussi « Jésus ». Lorsque les prêtres du Temple de Jérusalem demandent au nom de qui il fait des guérisons, Pierre répond : « C’est au nom de Jésus-Christ… Car il n’y a sous le ciel aucun autre nom qui ait été donné parmi les hommes, par lequel nous devions être sauvés. » (Actes 4, 10-12)
En effet, le Tétragramme signifie : « Je suis Celui qui est » ou « mon nom est Je suis ». C’est la réponse de Dieu à la question de Moïse devant le Buisson Ardent : « Quel est ton Nom ? » (Ex. 3, 13-14). Et Jésus reprend ce Nom à son compte : « Avant qu’Abraham fut, Je suis » (Jean 8, 58). L’identification de Jésus avec le Dieu qui s’est révélé à Moïse est indiquée sur les icônes par les trois lettres grecques dans la croix de l’auréole du Christ : « ὁ ὤν », c’est-à-dire : « Celui qui est ».
Les Actes des Apôtres parlent de « ceux qui invoquent le nom du Seigneur Jésus » pour désigner les chrétiens (Act. 9, 14 ; 9, 21 ; 19, 13 …). Et Paul s’adresse « à tous ceux qui invoquent en quelque lieu que ce soit le nom de notre Seigneur Jésus-Christ » (1 Cor. 1, 2).
La formulation de la prière de Jésus est biblique elle aussi. Il s’agit d’une contraction de la prière de l’aveugle de Jéricho « Jésus, Fils de David, aie pitié de moi » (Luc 18, 35-43) et de la prière du Pharisien « Ô Dieu, aie pitié de moi pécheur » (Luc 18, 17).
C’est une formule développée d’une prière plus archaïque : « Kyrie eleison » (Seigneur, aie pitié, ou fais-nous miséricorde, ou donne-nous ta grâce). Le Kyrie eleison qui reste la prière de l’Eglise dans les litanies (le prêtre ou le diacre annonce l’intention de la prière, et le peuple répond par la prière : Kyrie eleison).
Quel est l’intérêt, quel est le but de cette invocation continuelle ? C’est d’être habité par Dieu. La Bible nous parle lorsqu’elle nous habite.
En conclusion, si j’ai dû au départ reformuler la question « la Bible nous parle-t-elle encore », je crois néanmoins avoir montré « comment la Bible nous parle » dans l’Eglise orthodoxe.